Distinction entre un concept scientifique et une conception préalable 

Les élèves auxquels ont doit enseigner des concepts scientifiques ne nous arrivent pas sans connaissances préalables et interprétations des phénomènes naturels.  Au contraire, les élèves ne sont pas des tables rases, des cruches à remplir. Au fil des années, les enfants sont influencés par leurs idées, leurs expériences, leur vécu et construisent des modèles pour expliquer le monde qui les entourent. Par exemple, au primaire, les élèves croient souvent que l’air et le vide sont identiques.  Par conséquent, une conception préalable que l’on retrouve fréquemment chez l’enfant est qu’une bouteille qui ne contient plus de boisson gazeuse est totalement vide. On doit donc amener l’élève à s’approprier le concept scientifique qu’une bouteille qui ne contient plus de boisson gazeuse est remplie d’air. Les conceptions préalables sont bien ancrées dans la mémoire à long terme des élèves et il devient très difficile de les remplacer par des concepts scientifiques.

L’élève qui apprend en mémorisant les concepts scientifique pourra, en situation d’évaluation, avoir recours à un concept scientifique pour répondre correctement aux questions qui lui sont posées. Cependant, placé dans un contexte de la vie de tous les jours,  l’élève va retourner à ses conceptions préalables pour expliquer un phénomène. Ce qui assure la pérennité des conceptions préalables, c’est leur valeur explicative et fonctionnelle ainsi que leur simplicité pour l’élève qui les véhicule.

Il devient donc évident que l’enseignant de sciences doit posséder des stratégies pour amener les élèves à rejeter progressivement leurs représentations préalables et les remplacer par la construction de modèles qui sont fondés sur des concepts scientifiques.


Cette section devrait permettre à l’enseignant :

  • de déterminer et de comprendre les modes de pensée et les obstacles qui structurent et stabilisent les conceptions préalables;
  • de mieux connaître les conceptions préalables des élèves;
  • de s’approprier des approches pour faire ressortir ces conceptions pendant l’enseignement;
  • d’utiliser les conceptions préalables des élèves en tant qu'outil didactique pour faire cheminer la classe.

Les obstacles épistémologiques

L’étude des conceptions préalables des élèves nous amène à considérer les obstacles de la pensée qui expliquent et stabilisent en profondeur ces conceptions.  Ils permettent donner du sens aux conceptions préalables en permettant aux jeunes de construire une interprétation de leurs observations. Un obstacle épistémologique n’est pas une difficulté mais plutôt un mode de fonctionnement économique et confortable de la pensée.  Son dépassement coûte cher car il demande à l’élève de faire une réorganisation cognitive afin d’arriver à adopter d’autres modèles pour expliquer les phénomènes naturels. Les obstacles épistémologiques ont d’abord été identifiés par Gaston Bachelard (1938).

  • L’obstacle animiste : l’enfant a tendance à attribuer une âme ou une volonté aux objets.  Il dira par exemple que lorsqu’il marche, la Lune le suit car elle ne veut pas le quitter.
  • L’obstacle verbal : l’enfant utilise des mots pour expliquer un phénomène.   S’il voit une personne ivre en train de s’endormir il pourra affirmer que l’alcool renferme une substance endormante. L’enfant ne comprend pas vraiment les effets de l’alcool sur le corps humain.
  • L’obstacle classificatif : l’enfant se donne un système de classification pour expliquer un phénomène.  L’enfant va affirmer que les singes ont un cerveau développé parce qu’ils sont des primates plutôt que de se rendre compte que c’est le contraire, c’est-à-dire qu’on classe un animal parmi les primates parce qu’il possède certaines caractéristiques dont, entre autres,  un cerveau développé.
  • L’obstacle de l’unicité des relations :l’élève utilise une causalité linéaire pour expliquer un phénomène.  Par exemple, il dira qu’il pleut parce que la pression barométrique est basse.  Il n’a pas saisi que d’autres facteurs sont liés au fait qu’il pleuve, par exemple, le taux d’humidité de l’air.
  • L’obstacle tautologique : l’enfant explique que les choses sont ainsi parce qu’elles sont ainsi.  L’élève dira que les kangourous vivent en Australie parce que c’est leur habitat naturel.
  • L’obstacle subjectiviste : on explique un phénomène selon une volonté subjective.  L’enfant dira que les ours polaires habitent en Arctique parce qu’ils aiment le froid.  C’est beaucoup plus le régime alimentaire de l’ours polaire qui explique pourquoi il se retrouve au nord du continent.
  • L’obstacle de l’unicité des points de vue :l’enfant apporte une explication à un phénomène à partir d’un seul point de vue.  Par exemple, l’enfant dira que plusieurs animaux sauvages traversent la route transcanadienne sans regarder que c’est peut-être la route qui traverse l’habitat de ces animaux.
  • L’obstacle anthropomorphique : on croit que les animaux et les plantes ressentent les mêmes choses que les humains ou encore qu’ils pensent comme des humains.  L’enfant va affirmer qu’un oiseau chante parce qu’il est heureux au lieu de voir que c’est pour attirer une femelle ou pour éloigner des congénères qui s’aventurent dans son territoire.
  • L’obstacle substantialiste : on explique un phénomène en ayant recours à une substance.  Plusieurs enfants pensent que la chaleur est une substance qui se répand dans un objet plutôt qu’une forme d’énergie.

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Vérifiez vos connaissances De la conception au concept

 


Utilisation des conceptions préalables dans notre enseignement

Les conceptions préalables des élèves, même quand elles sont très éloignées des concepts scientifiques acceptés, ont cependant du sens et leur servent de modèle pour saisir le réel. C’est pourquoi ils résistent au changement. Dans la dernière section, nous avons vu que pour chaque concept enseigné il existe au moins une conception fréquente qui peut faire obstacle à l’appropriation du concept. Ces obstacles ne sont pourtant pas synonymes de difficulté incontournable. Ce sont plutôt des formes de pensée primitives qui satisfont les élèves pour le moment.

Pour accompagner les élèves dans la construction de nouveaux savoirs, il faut sortir de la logique du vrai et faux et tenter plutôt d’exploiter le mode de raisonnement de nos apprenants. On peut difficilement enseigner les sciences sans au préalable vérifier ce que pensent les élèves. Cela nous ramène à l’idée d’une évaluation diagnostique qui pourrait nous fournir, en début de module d’enseignement, des renseignements sur les conceptions des élèves. Notre tâche en tant qu'enseignant est de déterminer ces conceptions, de les comprendre et de chercher le sens que les élèves leur attribuent.

  • Faire ressortir les conceptions des élèves
    On pourra demander aux élèves d’expliquer à l’oral leur perception d’un phénomène. Cependant, Astolfi dans son livre publié en 1998 « Comment les élèves apprennent les sciences » suggère qu’on fasse écrire à l’élève une courte explication. On peut lui demander aussi de faire un dessin détaillé avec légende et de compléter les explications à l’oral. C’est l’étape de prise de conscience de la conception.
  • Comparer sa conception à celle des autres élèves
    Les échanges entre les élèves peuvent les amener à se rendre compte que d’autres schèmes de pensée sont possibles. La tendance pour l’élève est de penser que son point de vue est le seul valable, le seul qui soit logique. Il faut l’amener à admettre la valeur et la pertinence des systèmes explicatifs des autres élèves. Insistons sur le climat de la salle classe. Il ne s’agit pas ici d’imposer son idée puisqu’il faut travailler ensemble la divergence des points de vue et coopérer en vue d’une interprétation commune. On parlera ici de conflit sociocognitif (interindividuel) c’est-à-dire d’un conflit qui survient lorsque deux ou plusieurs élèves s’aperçoivent que leur conception respective est différente.
  • Le conflit de centration
    L’enseignant doit aussi créer des situations d’apprentissage où les élèves ne pourront plus expliquer ce qui ce passe en utilisant leurs conceptions préalables. On parle alors de placer l’élève en situation de déséquilibre. L’élève vit un conflit cognitif. Dans la section précédente, à la rubrique enseignement+, plusieurs activités ont été proposées pour créer ce déséquilibre.
  • La construction de nouveaux modèles de pensée (changement conceptuel)
    L’enseignant peut ensuite élaborer une série de scénarios pédagogiques qui vont permettre aux élèves de sortir de leur déséquilibre en élaborant progressivement des modèles de pensée qui vont leur permettre d’expliquer ce qu’ils observent dans les situations de résolution de problèmes. La résolution des inconstances permet donc aux élèves d’abandonner leurs conceptions pour adopter des modèles de pensée qui évolueront avec le temps et qui reposeront sur des concepts scientifiques.